Ex- position(s)

vendredi 1er février 2019, par par Pascale Logié

Treize ans déjà et pas une ride. Cette pièce fait bien partie du patrimoine de la danse contemporaine au titre d’une exposition des figures multiples de la performance.
Exposer, s’exposer, tel est le parti pris revendicatif et engagé de Latifa Laâbissi dans la monstration d’un corps manifeste confronté au réel d’une histoire post-coloniale hélas sans cesse rejouée.
L’éblouissant plateau blanc surexposé illustre parfaitement le white cube minimaliste conceptuel, lieu d’exposition privilégié de l’intellectualisme bourgeois. Au-delà de cet aspect muséal, le gros cordon figure une barrière, contour d’un cirque ou d’un ring : frontière entre le voyeur et l’exposé.
En effet, c’est l’exposition d’un corps qui est donné à voir, un corps nu si ce n’est la somptueuse coiffe d’indien sur la tête (comme sortie d’un cabinet de curiosité, emblème d’un peuple colonisé).
Ce corps divulgué de manière stroboscopique prend à chaque interruption de lumière les postures torturées comme sortie d’un catalogue anatomique de Charcot. Cette forme de yoga noueux aux contorsions gênantes pour la danseuse met d’autant plus le spectateur voyeur dans une position incommodante.
La créature dérangeante au sexe féminin exhibé tel un phénomène de foire cesse enfin l’enchainement de postures inconfortables. Elle s’installe au pupitre côté cour et s’apprête à exposer un discours qui restera sans voix. Un cri muet figure la narration d’une parole étouffée par l’impossibilité de s’exprimer oralement. Le dispositif de l’adresse au public se perçoit alors dans la monstration d’une suite de grimaces parfois agressives qui en aucun cas n’évoque la drôlerie. La gravité de cette scène suffit au propos politique engagé. S’ensuit un récit fantasque autobiographique déclamé dans l’obscurité avec un non moins caricatural accent exotique maghrébin. A nouveau, sous les feux de la rampe, à la manière d’un cabaret théâtre elle enchaîne un sketch mettant en classe élémentaire des personnalités politique des années 2000. Le comique de la scène n’est pas sans nous interroger sur la brûlante actualité des questions migratoires et de l’identité nationale.
C’est en cela que réside la force de ce spectacle par la description fine d’un exposé historique où l’artiste se débat contre les démons impérialistes. Et si elle s’étouffe avec un drapeau bleu blanc rouge, ce n’est que pour mieux donner voix aux minorités et représenter le champ de la danse comme un terrain de lutte. Latifa est un manifeste vivant, bien vivant réjouissons-en nous.